Diabolus in musica


C'est au moyen âge que l'expression latine « le diable dans la musique » fit son apparition. Elle désignait un intervalle musical à trois tons (le Triton) à l'effet auditif très désagréable. La légende veut qu'elle fut diabolisée et interdite par l'église dans la musique religieuse. C'est par ce biais que le Diable fit son entrée dans le monde de la musique occidentale avant d'inspirer lui-même certains compositeurs et leurs œuvres. Dans ce dossier, nous allons évoquer l’histoire méconnue de l'extraordinaire pouvoir d'évocation de la musique ou comment des notes et des sons dits "maléfiques" peuvent marquer durablement les oreilles et les esprits...

Auteur : Christophe Talon
E-mail christophe.talon@ampmetropole.fr
Publication : Octobre 2016
Mise à jour : Mars 2023

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Un peu d'histoire théorique

 

Pour comprendre l'impact du triton chez l'auditeur, il nous faut faire un bref état historique des conceptions et des perceptions musicales. Au milieu du Moyen Âge, la musique savante se dote de règles précises : un système de notation (le futur solfège et la partition), des procédés de composition (polyphonie et contrepoint), et un système tonal qui définit la hauteur et les écarts entre les notes (intervalle). L'intervalle du triton (quinte diminuée ou augmentée) par sa dissonance se trouve ainsi exclu de ce système harmonique qui considère une quarte ou une quinte juste comme « un argument de beauté » musicale. Selon la croyance générale, les premiers théoriciens de la musique des 14ème et 15ème siècles attribuèrent au triton son nom et son caractère impie, ils le bannirent de la musique sacrée. Cette mise au ban dura quelques siècles. Le symbole diabolique, lui, survit encore.

Illustration sonore du triton

Le triton dans tous ses états

Indésirable dans la musique sacrée, certains compositeurs ont continué à l'utiliser dans la musique profane pour surprendre et déstabiliser l'auditeur. On le retrouve ainsi chez JS Bach (divertissement de la seconde fugue en ut mineur) pour souligner un aspect marquant du discours musical.
Mais c'est surtout au 19ème siècle que les compositeurs commencèrent à utiliser cet intervalle plus librement tout en gardant sa connotation « diabolique » comme chez Hector Berlioz (La damnation de Faust,  La symphonie fantastique), Franz Litz (Dante symphonie) ou Gustav Holst (Les planètes). Certaines scènes du Crépuscule des dieux de Richard Wagner sont aussi marquées par l'emploi de tritons destinés à établir le lien avec les puissances des ténèbres dans une ambiance terrifiante de messe noire.
Au 20ème siècle, le triton commence à se dissocier de son « mauvais rôle ». On l'utilise par exemple pour sa capacité à créer des ponts entre des tonalités très éloignées ou pour susciter une tension. On retrouve cette fonction dans les klaxons ou certaines sonneries destinées à attirer l'attention. Mais dans l'inconscient populaire les sonorités du triton restent symboliquement assimilées comme  « malsaines ». Ce ressenti est abondamment usité dans la musique de film et la publicité. Dans le rock, Black Sabbath a utiliser cet effet à ses débuts inventant ainsi le son « heavy metal ».
Mais, du classique au jazz en passant par la pop, son usage s'inscrit surtout dans des modes d'expression musicaux modernes qui affichent la volonté d'abandonner le système tonal traditionnel. On peut citer en exemple le ballet contemporain L'Oiseau de feu d'Igor Stravinsky.

La musique du diable

 

La figure du diable et les vertus «magiques» de la musique ont aussi directement inspiré les artistes. Comme nous l'avons vu, ce thème trouve son apogée au 19ème siècle en pleine période romantique. Ténébreux violoniste aux mœurs dissolues, Niccolo Paganini s'est rendu célèbre par sa virtuosité quasi-surnaturelle. Les rumeurs les plus folles circuleront sur son compte. De plus, Giuseppe Tartini, aurait composé sa sonate Les trilles du diable après avoir vu dans son sommeil Satan en personne se saisir de son violon et en tirer une mélodie splendide.
Plus tard, le diable fait sa réapparition inattendue dans la musique populaire américaine. D'abord dans les chants religieux du Négro-spiritual pour le combattre, puis de manière plus sulfureuse dans la blues à l'image du destin tragique du guitariste et chanteur Robert Johnson. Les quelques enregistrements légués à la postérité révèlent un musicien d'un tel génie que la légende raconte qu'il aurait vendu son âme à la croisée de chemins du Mississipi.
Mais c'est le rock qui assumera pleinement son diabolisme à travers ses paroles, ses pochettes d'albums ou ses spectacles scéniques. De l'imagerie assumée ou parodique à des affaires plus sordides, l'histoire du rock est remplie de récits qui ont défrayé la chronique. De plus, ce genre musical est apparu avec l'émancipation des « baby boomers » d'après-guerre comme un vecteur d'affirmation d'une jeunesse aux attitudes et codes vestimentaires anticonformistes. Symbole de liberté et de progrès, la figure du diable s'est ainsi adoucie à partir du déclin religieux et de la révolution sociale de l'occident du 20ème siècle.

En savoir plus : « J'ai rendez-vous avec le diable »

 

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« Crossroads » (extrait), film américain réalisé par Walter Hill sorti en 1986.
Il est inspiré de l'histoire du bluesman Robert Johnson.
Dans cette scène, le jeune héros se confronte au diable dans un duel de guitares.

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