"Dire la guerre, 14-18"

          23 états souverains,
          72  pays belligérants,
          60 millions de soldats,
          10 millions de morts,
          20 millions de blessés,
          800 kilomètres de tranchées...

Ils pensaient partir pour quelques mois, beaucoup étaient volontaires, animés d'un fort esprit patriotique... Ils ne doutaient pas de la victoire, mais leur certitude a volé en éclats et le piège s'est refermé. Il leur restait les mots pour dire l'horreur, pour témoigner de l'indicible, et ces mots sont arrivés jusqu'à nous. Si l'écriture des récits épiques a traversé les siècles en racontant les hauts faits guerriers, celles des écrivains combattants de 1914 marquent un tournant car ils n'exaltent pas la pratique guerrière mais se veulent au plus prés de la réalité. À travers l'Europe entière, au Canada..., les auteurs racontent ainsi le bourbier de cette grande guerre. Aujourd'hui encore, des écrivains passionnés par ce conflit majeur rendent honneur et vie à ces soldats de l'impossible. À l'approche de la commémoration du centenaire, écoutons ces voix d'hier et d'aujourd'hui, nous conter leur histoire, notre Histoire.

Auteur : Nadine Puig
E-mail : nadine.puig@ouestprovence.fr
Publication : Septembre 2014
Mise à jour : Avril 2017

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Les écrivains français

Les écrivains ont payé un lourd tribu à la guerre. Ceux qui sont revenus décrivent sous forme romanesque les conditions épouvantables de cette guerre. Deux écrivains perdent la vie dès le début du conflit, Charles Peguy et Alain-Fournier dont le corps a été retrouvé récemment. Louis Pergaud meurt en 1915 sur le champ de bataille.
D'autres ont survécu à ces années noires, et témoignés : Henri Barbusse, prix Goncourt 1916, raconte le quotidien d'une escouade entre l'angoisse de l'attente et les violents combats. Cette même année, un autre livre recevra le Prix Goncourt... 1914, qui n'avait pu être remis l'année de l'entrée en guerre de la France, il s'agit de L'appel du sol d'Adrien Bertrand, dont la postérité n'a pas retenu le nom. Gabriel Chevallier parle de La peur. Dans Ceux de 14, Maurice Genevoix relate la vie de son régiment.
Roland Dorgeles, engagé volontaire, écrit les Croix de bois, son chef d'oeuvre. André Maurois publie son premier roman en 1918 : Les silences du Colonel Bramble. L'auteur rend hommage à l'armée anglaise. Jean Giono aussi sera mobilisé et, cette expérience traumatisante de la guerre, il en parle dans Le grand troupeau. Joseph Kessel nous fait revivre les premiers temps de l'aviation dans L'équipage, largement inspiré de sa propre expérience. Médecin des Armées, Georges Duhamel relate le quotidien des soignants et des blessés à l'arrière. Si la souffrance est au centre de son livre, l'espoir n'y est pas absent.. En revanche, Louis Aragon qui servait comme médecin auxiliaire a écrit ce poème, ne laissant aucun doute sur son état d'esprit. Colette aussi s'engage auprès des blessés et écrit « les heures longues » et « la paix chez les bêtes ». Guillaume Apollinaire pense à la jeune femme qu'il vient de rencontrer et lui écrit ce magnifique poème...
Certains s'élèvent contre ce conflit : Léon Werth, antimilitarisme et cependant engagé, dénonce la bêtise humaine ainsi que René Arcos qui est correspondant de guerre. Romain Rolland, lui aussi pacifiste et germanophone, publie un texte: Au dessus de la mêlée en 1914. En 1925, Marcel Pagnol présente sa pièce : Les marchands de gloire. Cette satire montre les dérives du patriotisme. Quant à Louis-ferdinand Céline, son approche du conflit fait toujours débat aujourd'hui. En 1949, il publie Casse-pipe, roman inachevé, où, il relate son arrivée dans un régiment de cuirassiers. En 1930, André de Richaud, écrivain et poète, publie La douleur. Le livre fait scandale ! Bien sûr, ce livre n'est pas sans rappeler Le diable au corps de Raymond Radiguet édité en 1923.

Les écrivains étrangers

Du côté de l'Allemagne : Ernst Junger rapporte dans Orages d'acier la puissance du feu lors des offensives et les lieux ravagés, lunaires où rode la mort. A l'ouest rien de nouveau d'Erich-Maria Remarque demeure un roman symbolique de ce conflit, il dénonce le « bourrage de crâne » que les jeunes soldats ont subi. Fritz Von Unruh décrit le sacrifice demandé aux soldats... il deviendra un fervent pacifiste et perdra la nationalité allemande en 1939. Profitons de ce centenaire pour sortir de l'oubli le livre d'Edlef Koppen. On apprécie également la réédition de l'écrivain Hans Carossa, dont le journal fourmille de détails de la vie quotidienne. Un autre texte peu connu, d'Arnold Zweig : "Le cas du Sergent Grischa" dans lequel les affres de la bureaucratie militaire sont dénoncés. Andreas Latzko écrit Hommes en guerre pointant du doigt le traumatisme psychologique des soldats, tandis que Ernts Johannsen dans Quatre de l'infanterie, parle du devoir de mémoire des survivants, qui au delà des nationalités, unis les anciens combattants. Stephan Zweig décrit bien l'Europe à la veille de la guerre. Durant la guerre, Hermann Hesse fonde une assistance aux prisonniers. En 1914, il publie un texte destiné aux intellectuels, les exhortant à ne pas rentrer dans des démarches nationalistes et belliqueuses.

Du côté des alliés : Blaise Cendrars, naturalisé français en 1916, participe au conflit sous la nationalité suisse. Blessé, il écrit La main coupée. Emilio Lussu est l'auteur italien de Les hommes contre, excellent livre quelque peu oublié, alors que L'adieu aux armes d'Ernest Hemingway, écrivain américain, est un livre qui a traversé les années sans dommage. Son engagement dans la guerre sera l'occasion pour John Dos Passos, lui-aussi américain, d'écrire son premier livre dans lequel il cite un petit village français. En 1918, un poète anglais perd la vie sur le sol français, il s'agit de Wilfred Owen, voici un des ses poèmes. Un autre poète canadien a perdu la vie a cette même époque, il s'agit de John Mc Crae... Ecoutez...
Jarolav Hasek, antimilitariste convaincu, décrit l'absurdité de la guerre, dans : Le brave soldat Chvéîk, véritable « Candide» tchèque. En 1929 paraît un livre remarquable : Nous étions des hommes de Frédéric Manning, écrivain anglais engagé sur le front de la Somme. Humphrey Cobb écrit en 1935 Les sentiers de la gloire, Stanley Kubrick en fera un film culte. En 1938, Dalton Trumbo écrit : Johnny s'en va en guerre qu'il portera à l'écran, ce livre fera scandale et le rendra célèbre. Williams Faulkner est engagé volontaire dans l'aviation. En 1954, il publie un livre, Parabole fustigeant les guerres et l'humanité qui se dévore elle-même. Il paraît souhaitable de citer Herbert Georges Wells pour l'aspect visionnaire de son oeuvre. Enfin, T-E- Lawrence nous plonge au coeur des combats au Proche-Orient.

Les écrivains francophones aujourd'hui

Nombreux sont les textes français plus récents qui relatent les faits, en ayant le recul nécessaire et l'analyse historique sur cette période. Pierre Miquel est l'un de ces auteurs incontournables. Historien de formation et spécialiste de cette période, il écrit de nombreux livres. Jean Rouaud publie Les champs d'honneur, Prix Goncourt 1990. En 1998, Marc Dugain s'intéresse aux gueules cassées dans La chambre des officiers qui sera porté à l'écran…Les romans policiers ne sont pas en reste, voici quelques pistes de lecture, portons un éclairage particulier sur la série de Thierry Bourcy et son  personnage « Célestin Louise ».
Xavier Hanotte, de nationalité belge, est un fervent admirateur du poète Wilfred Owen. Hanté par cette guerre, il utilise dans ses romans « le réalisme magique » rapprochant deux mondes sur un même lieu. Dans Cris, Laurent Gaudé donne la parole aux hommes. Virginie Ollagnier axe son texte sur les soldats blessés et le début de la psychanalyse, tandis que, Bénédicte des Mazery, dans La vie tranchée, nous plonge dans les méandres de la censure militaire. Alice Ferney publie Dans la guerre montrant les ravages de l'alcool mais aussi les conditions de vie des femmes restées à la ferme. Dans Les âmes grises, Philippe Claudel s'intéresse aux habitants d'un village situé à quelques kilomètres du front, bien loin des préoccupations des soldats. Paru en 2004, Blés bleus de Philippe Roch, est un texte sensible sur l'absurdité de la guerre. Quant à  l'absurdité, que dire, du transport de la guillotine de Paris en Belgique... en 1918. Ce fait réel inspire le livre L'obéissance de François Sureau. Le théorème du Roitelet paraît aussi en 2004. Frédéric Cathala met en scène le Colonel Roitelet, mathématicien qui pense que tout se calcule ! Cette même année, Jean Vautrin commence sa série illustrée par Jacques Tardi : Quatre soldats français. Claude Duneton fait un véritable travail de mémoire en « rendant vie » aux soldats de son village dans Le monument.
En 2011, Lyliane Beauquel signe Avant le silence des forêts, qui se distingue par son approche poétique et pleine de compassion. L'arrivée du centenaire a poussé plusieurs auteurs à écrire sur cette partie de notre histoire. Citons 14 de Jean Echenoz, où l'auteur raconte l'amitié de quatre hommes dans l'enfer des tranchées. Pierre Mari nous conduit aussi au coeur de l'action, à Verdun, dans son livre Les longs jours. Raphael Confiant raconte l'engagement des créoles dans le conflit, mais aussi l'attente et la rancoeur des familles restées au pays. Dans Bleus horizons, Jérôme Garcin redonne vie au poète et soldat Jean de Mirmont. Michel Laval, dans Tué à l'ennemi nous dévoile les derniers jours de la vie de Charles Péguy. L'Académie Goncourt n'est pas en reste, en primant le livre de Pierre Lemaitre : Au revoir là-haut. L'auteur décrit les conditions inhumaines du conflit mais aussi la pauvreté des soldats rescapés et l'état de déliquescence morale de la société d'après-guerre. Jean-Christophe Rufin contribue aussi à cette célébration avec Le collier rouge. Dernièrement, Roger Béteille décrit dans : Le chien de nuit, le retour d'un brancardier, accompagné de son chien de guerre, dans son Aveyron natal.

Les écrivains étrangers aujourd'hui

Les titres étrangers sont moins nombreux et la majorité sont de langue anglaise. En 1977, Timothy Findley, auteur canadien, décrit dans Guerres la destruction physique et morale d'un jeune officier. Mario Rigoni Stern,écrivain italien, fort des témoignages recueillis, rend compte dans toute son oeuvre de cette période. Dans son livre L'année de la victoire, publié en 1985, il raconte le retour des habitants dans leur village des Domonites après 1918. Ces dernières années, le nombre de romans sur ce sujet a considérablement augmenté. En 2004, Joseph Boyden signe un livre racontant la guerre vécue par deux amérindiens : Le chemin des âmes, puis en 2009, est édité le premier roman de Carol Ann Lee : La rafale des tambours. Étrange livre que celui de Chris Womersley, auteur australien. Après avoir combattu en Europe, un jeune homme rentre au pays où il a été injustement accusé... William Boyd nous propose un nouveau roman s 'incrivant dans cette période sombre de l'Europe : L'attente de l'aube.
Puis, cette même année est publié un texte écrit en 1933, mais jamais traduit en français : Compagnie K. Auteur méconnu du public français, William March est un écrivain reconnu outre-atlantique. Le roman de Ron Rash paru en 2014, Une terre d'ombre décrit la noirceur des relations humaines sous fond de patriotisme.

Bande dessinée

La bande dessinée est un bon support pour raconter la guerre. Il est donc naturel que La der des der  inspire les auteurs. Mais revenons, en 1914...Comment ne pas citer Bécassine, personnage incontournable de cette période. Dès le début du conflit, son patriotisme et son engagement sont sans faille !!! Les Pieds-Nickelés sont aussi intimement liés à cette période. Plus prés de nous, l'édition est pléthorique : une cinquantaine d'albums balayent toutes les thématiques : la guerre vécue par l'armée britannique, les soldats sénégalais, les soldats spécialistes du camouflage, l'aviation, les plages du Pacifique. D'autres auteurs ont choisi de s'inspirer de personnages historiques, du regard des enfants, de parler de ces soldats lourdement mutilés, des déserteurs. Et de ceux dont la raison a vacillé.
Dans Le sang des valentines, Christian de Metter signe un album d'une grande finesse, mettant en évidence l'importance de la correspondance et la désillusion du retour. Bruno Le Floc' h, s'est aussi intéressé au thème du retour dans Un après-midi d'été, ainsi que Huo-Chao-SI qui nous conte le retour de quatre soldats sur l'île de la Réunion.
D'autres encore utilisent l'humour pour parler des hommes, la dérision pour dénoncer la folie de la guerre et l'absurde. D'ailleurs, comment tenir, comment garder l'espoir quand la mort rôde... certains se fixent un but : Les Folies-bergères. Sans conteste, Jacques Tardi a de son coup de crayon dénoncé la folie des hommes et du pouvoir. En utilisant les souvenirs de ses grand-parents, il signe plusieurs albums unanimement salués par la critique dont : C'était la guerre des tranchées... Varlot soldat... regardons le travailler...Avant de refermer ce dossier, saluons la parution récente d'une bande dessinée relatant un fait historique peu connu, dont les personnages principaux étaient originaires de nos terres provençales : La faute au Midi de Jean-Yves Le Naour et A. Dan.

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