Arte Povera ou l'Art Pauvre

Septembre 1967, une exposition collective d'artistes engagés et novateurs a lieu à Gênes. Voulant rendre compte de la situation politique de l'Italie de cette époque, ces jeunes avant-gardistes décident de repenser l'acte créatif en le plaçant au service d'une éthique. Ils ont cette volonté chevillée au corps d'agir sur la vie par le biais de l'art.
C'est avec les moyens des plus économiques, en utilisant des matériaux simples et souvent pauvres, qu'ils proposent d'élaborer de nouveaux systèmes de langage et de représentation. Cette idée novatrice apparait d'abord à Turin d'où beaucoup de créateurs sont originaires, puis se propage à Gênes, Rome et au reste de l'Italie.
S'inspirant d'un texte sur le théâtre expérimental, Germano Celant, historien, théoricien et critique d'art, donne l'appellation d'Arte Povera à ce nouveau genre artistique. Il sera également l'auteur d'une publication : « Note pour une guérilla », comme un signe avant coureur de mai 1968.

Auteur : Amor Bouyegh
E-mail : amor.bouyegh@ampmetropole.fr
Publication : Janvier 2015
Mise à jour : juin 2022 

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L'Italie en ces années là : Contexte social et philosophie

Seul le triangle Milan, Turin, Gênes, est très riche et industrialisé. Malgré la croissance forte des industries Fiat , Agnelli ou Olivetti, l'Italie est face à une crise politique. Le pays souffre d'inégalités économiques graves particulièrement dans le Mezzogiorno. La paupérisation y est de plus en plus visible. Le clivage nord/sud génère de nombreuses tensions, toutes aussi insupportables les unes que les autres. En outre, depuis trois ou quatre ans déjà, le fameux « miracle italien » a laissé la place à une détérioration économique. La situation sociale s'est dégradée et touche désormais toutes les tranches d'âge. Par conséquent, la récession s'installe et le nombre de chômeurs augmente considérablement. La société italienne reproche au gouvernement son désengagement politique. Le peuple adopte alors un état d'esprit de révolte et de rébellion. Les étudiants bloquent les universités et la protestation sociale résonne à tous les niveaux. Les artistes sont politiquement engagés, et se veulent le reflet de leur société et de leur époque.

Les principaux fondateurs

En septembre 1967 l'exposition : « Arte Povera . Im spazio » est présentée à la galerie « La Bertesca » à Gênes. C'est aussi lors de cette présentation que Germano Celant baptisa le groupe d'artistes exposants sous la désignation d'Arte Povera : Yannis Kounellis , Alighiero e Boetti, Luciano Fabro , Pino Pascali , Giulio Paolini. D'autres personnalités les rejoindront peu après pour former le groupe des douze fondateurs : Giuseppe Penone , Giovanni Anselmo , Mario Merz, Mariza Merz , Pier Paolo Calzolari, Michelangelo Pistoletto et Gilberto Zorio. Tous partagent une même vision d'un monde en pleine mutation. Tous ont le désir d'être témoins de leur temps et sont dans un état d'absorption, d'observation et d'analyse. Ils sont en réaction contre la consommation à outrance, les mass médias, le consumérisme ambiant et s'opposent à la politique culturelle du moment. Ils sont fermement décidés à « dépoussiérer les Salons officiels » réservés à l'entre-soi, et utilisent sans compter la dérision, l'insolence et une bonne dose d'humour comme outil de contre pouvoir. Ils sont viscéralement opposés à la guerre du Vietnam et dénoncent une certaine décadence du monde occidental. Ils critiquent également le modèle américain basé sur la valeur marchande, le culte du corps, le matérialisme, la suprématie de la technologie, l'industrialisation massive et surtout la domination des États-Unis dans le monde de l'art : le Pop-Art et l'Art Minimaliste.

Art pauvre, ou matériaux pauvres ?

Les artistes initiateurs d'Arte Povera ne se considèrent pas porteurs d'un mouvement artistique, mais définissent plutôt leur démarche comme une réflexion contestataire. Ils défendent un art contemporain spécifiquement italien, bien que se rapprochant en bien de points à l'art conceptuel, au land art, au néo-dadaïsme US, ou encore au nouveau réalisme français. Ils prônent cependant l'immatériel, la spiritualité, le détachement volontaire, le rejet des vanités, et enfin pour certains d'entre eux, l'ascèse chrétienne et le renoncement, en référence à Saint-François d'Assise . Ils proposent une réflexion sur la dialectique entre la culture populaire et la nature. Ils appauvrissent surtout le signe, en le réduisant jusqu'à son archétype. Une idée, une action ou une prise de position peut devenir œuvre d'art. La banalité devient Art à part entière, le langage n'est rien d'autre qu'un élément purement visuel sans aucune narration, et la présence physique brute de l'objet est d'une importance primordiale. Ils utiliseront donc des matériaux naturels, ou dits « pauvres » : granit, terre, cire, laine, végétaux, plâtre, mais aussi des objets de rebuts : chiffons, carton, corde, ou encore des matériaux plus élaborés : plastique, néon, aluminium, cuivre ou d'autres métaux conducteurs d'énergie. Yannis Kounellis, grand mystique, ira même jusqu'à utiliser du feu, des chevaux vivants ou des perroquets.

Critiques et détracteurs

Certains observateurs reprocheront à quelques artistes de reprendre le flambeau des futuristes des années 1920, parce que ces derniers défendaient aussi un art exclusivement italien. La comparaison s'arrête là, car à la différence de l'Arte Povera, le Futurisme mettait en exergue le progrès industriel, la vitesse des moyens de transports, l'effervescence des grandes villes. Pourtant certains membres parmi les futuristes, sympathisants du courant Novecento , mais surtout à cause de leurs accointances avec les nationalistes, furent taxés d'avoir soutenu en son temps, la politique de Mussolini. Les artistes de l'Arte Povera, en revanche sont opposés aux guerres, et malgré leur stratégie plus ou moins révolutionnaire, sont des manifestants pacifistes. Ils défendent farouchement leur indépendance et leur liberté vis à vis des institutions culturelles. Ils rejettent le faste, les ors et refuseront catégoriquement d'asseoir la puissance du pouvoir.

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  • La structure qui mange, sans titre d'Anselmo Giovanni : Les deux blocs de granit avec une laitue fraîche sont l'évocation de pérennité pour la pierre et d'éphémère pour la salade. En somme la fragilité du vivant . C'est une démonstration dont le concept est la contemplation. La pierre se nourrit de la salade et le fil de cuivre est un métal conducteur d'énergie.
     
  • La vénus aux chiffres de Michelangelo Pistoletto : Elle n'est pas en marbre, mais en ciment. C'est l'interaction entre l'œuvre et le regardant, l'idée de la performance de rue d'une manière impulsive et révolutionnaire. Il s'agit d'une citation, d'un clin d'œil à l'histoire de l'art avec la reproduction de la « Vénus à la pomme » de Bertel Thordvalsen , sculpteur islandais du 18-19e.
  • L'arbre aux voyelles de Giuseppe Penone : L'artiste s'intéresse à la croissance, à la culture végétative ainsi qu'au corps. Il est très sensible à l'intelligence et à la perfection de la nature, qui est son champ d'investigation principal.
  • Mappa d'Alighiero e Boetti : Comme son ancêtre, Boetti vivra en Afghanistan et fera travailler des tisseuses et des dentellières afghanes pour ses cartes du monde. Nombre de ses œuvres sont donc issues d'un travail collectif.
  • L'altra figura de Giulio Paolini : Deux moulures en plâtre d'une sculpture classique se font face et donnent le sentiment de converser entre elles. Cette véritable mise en scène du regard, est pour Paolini, la possible remise en cause de l'unité de l'œuvre d'art.
  • Piede ou infinito de Luciano Fabro : Cette sculpture monumentale en béton dans un filet métallique est le concept spatial ou la double face du ciel.
  • Oh darling de Marisa Merz : Sculpture composée de feuilles d'aluminium agrafées représentant des formes organiques qui interrogent les figures féminines. Œuvre exposée dans son appartement
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Septembre 1967, une exposition collective d'artistes engagés et novateurs a lieu à Gênes. Voulant rendre compte de la situation politique de l'Italie de cette époque, ces jeunes avant-gardistes décident de repenser l'acte créatif en le plaçant au service d'une éthique. Ils ont cette volonté chevillée au corps d'agir sur la vie par le biais de l'art.
C'est avec les moyens des plus économiques, en utilisant des matériaux simples et souvent pauvres, qu'ils proposent d'élaborer de nouveaux systèmes de langage et de représentation. Cette idée novatrice apparait d'abord à Turin d'où beaucoup de créateurs sont originaires, puis se propage à Gênes, Rome et au reste de l'Italie.
S'inspirant d'un texte sur le théâtre expérimental, Germano Celant, historien, théoricien et critique d'art, donne l'appellation d'Arte Povera à ce nouveau genre artistique. Il sera également l'auteur d'une publication : « Note pour une guérilla », comme un signe avant coureur de mai 1968.

Auteur : Amor Bouyegh
E-mail : amor.bouyegh@ampmetropole.fr
Publication : Janvier 2015
Mise à jour : juin 2022 

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